Premier Chapitre
Chapitre I[Quartier de Sadriz, Andropolis]
Affalée sur son fauteuil près de l’âtre, les pieds posés sur son bureau et les mains jointes sur son ventre, la doctoresse Vittoria Zeli dormait tranquillement, la bouche grande ouverte. De petits ronflements paisibles accompagnaient le crépitement du feu. Comme tous les jours de la semaine, Vittoria avait ouvert son cabinet vers dix heures du matin. Le local se situait dans le quartier populaire de Sadriz, à l’exact opposé du secteur où on trouvait les plus belles demeures de la ville. La doctoresse était née dans ce quartier et ne l’avait quitté que le temps de faire ses études à l’Université. Après avoir obtenu son droit d’exercer à un âge précoce, elle était immédiatement retournée à Sadriz.
La jeune femme se sentait attachée à cet endroit et voulait contribuer au maintien de sa vie. Avec l’aide d’un bienfaiteur rencontré à la fin de ses études, Vittoria avait ouvert son cabinet si cher à son cœur dans lequel elle traitait ses patients, réservant le sous-sol à des opérations d’un tout autre type. Ce jour-là, la doctoresse avait reçu plusieurs malades jusqu’à la mi-journée. Peu après que les douze coups de midi eurent retenti, un vieillard était entré dans le cabinet. Le pauvre homme s’était démis l’épaule en tombant dans les escaliers de son immeuble. La doctoresse lui avait administré un calmant, remis l’articulation en place et installé une petite attelle pour maintenir le tout immobile pendant quelques jours. Quand le vieil homme avait quitté le cabinet, elle s’était soudain sentie très lasse.
Il faut dire que la jeune femme se levait très tôt pour s’adonner à une activité qui la passionnait encore davantage que le soin de ses patients. Une fois qu’elle eut fait repartir les flammes dans la cheminée, elle s’était installée sur son fauteuil dans une position qui ne sied guère à une dame, puis s’était rapidement assoupie. La lumière claire du jour qui passait à travers les fins rideaux venait caresser les dorures qu’arborait la tranche de dizaines d’ouvrages rangés sur les étagères en face du bureau. La pièce était petite et, hormis ces innombrables volumes, elle ne comportait à vrai dire pas grand-chose. Les meubles se limitaient à une table matelassée pour ausculter les patients, un évier de fer et une vieille balance rouillée située dans un coin de la pièce. Une petite tablette en laiton venait compléter le tableau, sur laquelle des instruments de médecine étaient négligemment posés. Derrière la table se trouvait une porte qu’on pouvait à peine distinguer du fait de sa taille et de son emplacement. Elle semblait avoir été conçue pour une maison qui ne serait habitée que par des enfants en bas âge.
Alors que l’esprit de Vittoria errait paisiblement dans le monde des rêves, le son de la clochette fixée à côté de sa porte d’entrée se chargea de la ramener à la réalité. La doctoresse sursauta légèrement, ce qui la fit presque tomber de son fauteuil alors dans un équilibre précaire. Elle reprit ses esprits et se leva prestement. Après avoir brièvement lissé sa robe et ramené une mèche de cheveux derrière l’oreille, elle traversa la salle d’attente et alla ouvrir à la personne qui n’arrêtait pas de sonner. Vittoria découvrit un garçon portant une guenille qui lui couvrait la bouche et le nez. Cette précaution était prise par la population du quartier depuis de nombreuses années, alors que la maladie appelée flétrose s’était particulièrement installée entre ses murs.
Personne ne savait réellement si c’était une mesure efficace, mais les habitants avaient fini par s’habituer à se couvrir le visage d’une étoffe en sortant de chez eux. En réalité, la flétrose était une maladie en tout point imprévisible. Elle faisait des ravages par vagues, sans qu’un quelconque facteur déclencheur ne soit notable. L’académie des médecins-chercheurs n’avait pas progressé sur le sujet depuis l’apparition de ce fléau et les malheureux qui étaient atteints finissaient inexorablement pas dépérir, leurs membres se mettant à faner les uns après les autres à la manière de pétales séchés. Le temps de dégradation était en revanche très variable, un individu pouvant défaillir complètement en quelques semaines tout comme tenir le coup pendant des années, selon la violence des poussées que son corps subissait. Au départ, la population avait été révoltée par l’inaction des médecins-chercheurs de l’Empire puis, comme pour beaucoup de calamités, il avait fallu se résigner et continuer à vivre avec cette menace intangible permanente qui flottait dans l’air de la capitale. Le quartier de Sadriz était nettement le plus touché d’Andropolis mais les habitants étaient trop pauvres pour s’installer ailleurs et la peur avait été depuis bien longtemps été remplacée par le fatalisme
Le garçon qui se tenait devant Vittoria leva la tête vers elle et on devinait grâce à ses yeux en demi-lunes un grand sourire derrière son écharpe rapiécée.
– Bonjour, Doc Vi ! dit fièrement l’enfant.
– Bonjour, Fulbert ! Comment vas-tu ? Tu sais que tu n’as plus besoin de te couvrir le visage, avec ce que je t’ai donné.
– Ah, c’est vrai ! dit le garçon en retirant le tissu pour le fourrer dans sa poche. C’est l’habitude !
Fulbert faisait partie d’une grosse tranche de la population qui n’avait pas connu de vie sans le fléau de la flétrose comme épée de Damoclès au-dessus de la tête, et ces enfants avaient tous grandi dans le quartier avec le réflexe de se couvrir nez et visage en sortant de chez eux.
– Qu’est-ce qui t’amène aujourd’hui ? demanda Vittoria.
– On en a un pour vous !
Le gamin paraissait très fier de faire cette annonce en apparence énigmatique mais Vittoria savait très bien de quoi il s’agissait. En apprenant cette nouvelle, la doctoresse afficha une expression comique, avec les joues gonflées et les yeux plissés. Puis elle sourit de plus belle en serrant les poings.
– Excellent, excellent ! dit-elle. Cela faisait un moment ! Est-il atteint ?
– Je ne crois pas, Doc. Désolé...
Son enthousiasme avait été quelque peu douché par la question.
– Cela ne fait rien, voyons ! le rassura Vittoria avec un sourire éclatant pour dissiper la déception du petit Fulbert. Tu sais que j’ai aussi besoin de sujets sains. Où est-il ?
– Au hangar n°3 de Gnalbac. Frappez trois fois sur la porte bleue, quelqu’un vous y attend.
– C’est en-dehors du quartier. Je vais y aller tout de suite.
Vittoria se précipita dans son cabinet et alla à toute vitesse jusqu’à son bureau. Elle sortit une pièce de cuivre du premier tiroir, revint sur le pas de la porte et la lança au petit coursier qui l’attrapa à la volée. Quand il vit de quelle pièce il s’agissait, ses yeux s’arrondirent.
– Vous savez que vous n’avez pas à me payer, Doc ! Je reçois déjà ma participation.
– Mais je suis sûre que cette fois encore tu es venu à toute vitesse, répondit Vittoria avec un clin d’œil. Vois-le comme un pourboire.
– Alors, merci beaucoup !
Comme Fulbert ne partait pas et regardait ses chaussures, la doctoresse lui demanda :
– Il y a autre chose, Fulbert ?
– Je voulais savoir... Je sais que je ne suis pas censé en parler mais... Comment avancent vos recherches ? J’ai un copain qui est tombé malade et... Il a déjà une main flétrie, alors j’ai peur que...
Vittoria perdit immédiatement son sourire.
– Quel est son nom ? demanda-t-elle abruptement. Faisait-il partie de ceux à qui j’ai distribué des comprimés le mois dernier ?
Vittoria se rendit alors compte qu’elle s’était accroupie et qu’elle secouait Fulbert un peu trop vivement. Elle relâcha son emprise sur le garçon qui avait écarquillé les yeux.
– Il... Il s’appelle Bérard, bredouilla-t-il. Non, il n’était pas là pour la distribution... Je lui avais dit de venir vous voir, mais je crois qu’il ne l’a jamais fait...
La doctoresse soupira longuement, un peu par dépit et bien davantage par soulagement. Au moins, son traitement préventif ne s’était pas révélé inefficace ! Elle avait testé cette version sur elle-même et sur plusieurs enfants du quartier. Jusqu’à présent, pas un cas de flétrose n’avait été constaté parmi tout cet échantillon de personnes. Vittoria avait gardé le silence sur ces comprimés pour bien des raisons.
D’abord, elle voulait éviter qu’on lui reproche d’utiliser ces enfants comme rats de laboratoire. C’était le seul moyen pour elle de progresser et elle était sûre de son travail, mais les gens ne comprendraient pas. Elle ne voulait pas non plus que des dizaines de personnes viennent taper à sa porte pour se procurer des pilules alors qu’elle n’avait pas les moyens de les produire en masse, ou encore que les Chiens Cuivrés viennent fourrer leur nez du côté de son cabinet. Ce qu’elle faisait au sous-sol n’était pas franchement légal...
Comme la flétrose continuait de se propager, elle savait qu’elle ne pouvait pas développer son sérum immunisant sans avoir également trouvé une cure. Son bienfaiteur et elle s’étaient bien mis d’accord là-dessus. Pour arriver à concevoir ce remède définitif, elle avait la sensation qu’il lui manquait un élément essentiel, seulement un petit élément... Vittoria posa une main sur l’épaule de Fulbert et lui parla doucement.
– C’est normal de s’inquiéter, et cela montre que tu as un grand cœur. Je suis désolée que ton ami n’ait pas eu droit à une pilule. Si d’autres sont dans ce cas, envoie-les-moi, c’est très important ! Pour ce qui est du remède, je ne veux pas te donner de faux espoirs... Mais dernièrement j’ai réellement avancé. Je sens que j’y suis presque ! Il me manque quelque chose, mais je sens que je suis vraiment proche... Quand j’aurai trouvé, tu seras un des premiers prévenus.
Le visage de Fulbert s’éclaira.
– Merci Doc Vi, je compte sur vous !
Et le petit coursier partit à toute allure, se perdant rapidement dans les ruelles sales. Maintenant qu’elle était seule, Vittoria semblait encore plus pressée. Elle retourna à son bureau et prit une bourse teintante qui se trouvait dans un tiroir. Elle y glissa un bout de papier où figuraient quelques mots et mit le tout dans la poche de son gilet puis ferma la porte du cabinet en passant dans la petite salle d’attente. Là, elle prit sa redingote sombre et l’enfila avant de la boutonner jusqu’en haut. La doctoresse se dirigea ensuite vers le fond de la pièce où se trouvait un vélocipède appuyé contre le crépi du mur. Le cadre et les roues de l’engin étaient en fer charbonné et des pneus fins couvraient les jantes en acier. La roue motrice, celle de devant, était légèrement plus haute que la roue arrière.
Vi sortit son destrier sur le palier en le tirant par le guidon. Elle ferma la porte et glissa le cordon qui attachait la lourde clef autour de son cou. À côté de la porte, une plaque en bronze fixée au mur affichait en lettres simples « Doctoresse Vittoria Zeli - Chirurgie et médecine ordinaire ». Elle tira ensuite de la poche de sa redingote un petit étui qui contenait une paire d’optiques aux verres vert foncé qu’elle plaça sur son nez et attacha derrière ses oreilles. Enfin, elle s’élança dans la rue crasseuse sur son engin métallique.
Les mèches de ses cheveux auburn voletaient autour de son visage à mesure qu’elle prenait de la vitesse. Arrivée à une petite place ronde et défraichie, la doctoresse fit tourner son vélocipède sur la droite et traversa une large route boueuse. Au-dessus de sa tête était étendu du linge rapiécé entre deux murs défraichis. Elle passa devant un cordonnier qui nettoyait sa devanture usée par le temps puis à côté d’une épicière qui remettait en place son maigre étal de légumes.
À l’angle d’une venelle, elle aperçut deux Chiens Cuivrés en train de patrouiller. Ces hommes étaient les membres de la Sûreté, la garde armée créée par l’Empereur, et leur mission était de faire régner l’ordre dans toutes les villes des Deux Continents. Leur nom officiel était « Gardiens de la Sûreté » mais tout le monde les appelait les Chiens Cuivrés à cause du masque leur couvrant la tête qui évoquait la face d’un canidé ainsi que pour la couleur de leurs longs manteaux qui rappelait la teinte de ce métal rouge-brun. Ces masques singuliers, en plus de les protéger du risque de la flétrose, s’étaient voulus intimidants mais le peuple en était très rapidement venu à l’associer au caractère docile de l’animal, allant même jusqu’à qualifier leurs porteurs de « toutous de sa majesté ». Cette qualification imagée était bien entendu utilisée uniquement dans le dos des miliciens car ces hommes restaient très craints à cause de leur brutalité et d’un historique d’agissements révoltants qui étaient restés totalement impunis.
De nombreux mendiants étaient assis sur les rares pavés encore visibles, parfois avec de très jeunes enfants dans les bras. Certains d’entre eux, reconnaissant la doctoresse sur son destrier, la saluèrent à son passage. Il arrivait que Vittoria soigne certains de ces habitants les plus infortunés sans les faire payer. Sa réputation dans le quartier était très particulière. Certains la considéraient comme une sainte, d’autres lui prêtaient des agissements occultes et contre-nature et préféraient se tenir loin d’elle. La jeune doctoresse n’en avait cure et, pour réaliser son objectif, elle n’avait de toute façon pas le temps de se soucier de ce que pensaient les autres.
Au bout de la rue, elle amorça une pente qui longeait la stèle des trépassés où étaient gravés dans la pierre les noms de ceux tombés au cours de la guerre du Milieu. Le monument était pris dans l’ombre d’un dirigeable qui survolait lentement les bâtiments du secteur. À mesure qu’elle progressait, le sol se faisait moins abîmé et la voie offrait un pavement de plus en plus stable. Vi se laissa entrainer par son élan puis, d’un coup de pédale énergique, se lança directement sur le pont Veuil. Ce long pont en pierre marquait la fin du quartier Sadriz et offrait une vue saisissante sur les secteurs ouest de la ville. On pouvait apercevoir les grosses cheminées des pompes à feu qui montaient vers le ciel, crachant des volutes de fumée noires et épaisses. Vittoria avait toujours trouvé que ces structures grisâtres ressemblaient à des canons austères prêt à bombarder les astres.
Au nord, on pouvait distinguer la couronne des grands immeubles d’affaires. Des échafaudages métalliques géants serpentaient le long de ces bâtiments au style architectural rectiligne. Des nacelles et des ascenseurs pilotés par des employés en uniforme arpentaient les échafaudages et les rails installés tout autour des hauts murs, faisant tourner des milliers de rouages et coulisser autant de courroies. Des plateformes ornées de garde-corps en fer puddlé habilement travaillé se dressaient face au vide, reliées entre elles par des dizaines de passerelles grinçantes, fixées les unes sur les autres à l’aide de gros rivets en fonte.
Cette scène donnait l’impression que les dieux de sous le monde tendaient leurs bras faits d’acier vers le ciel, sans cesse parcourus par de petits insectes de chair et de sang. Il ne fallait pas avoir le vertige pour emprunter les ascenseurs en plein air, et encore moins pour être ouvrier sur les échafaudages ! Des corbeaux volaient adroitement entre les bâtiments de pierre et les branches de métal, se posant brièvement sur des gargouilles sinistres avant de reprendre leur envol vers les coins sombres où ils avaient établi leurs nids.
Le pont massif où Vittoria pédalait gaiement enjambait la Grand Rue en contrebas sur laquelle des charriots et des automobiles à vapeur avançaient en files ordonnées. La diversité des véhicules circulant sur cet axe inférieur faisait monter des odeurs multiples vers le haut de la ville et sur le pont Veuil : relents de crottins de chevaux, odeurs de légumes frais transportés dans des charrettes, charbon brûlé, vapeurs de moteurs, épices renversées sur la voie… Sur la légère montée que formait la première moitié du pont en arc, Vi doubla sans vergogne un bourgeois à bicyclette qui semblait autrement peiner, avant de se laisser aller dans la descente de la seconde moitié.
Les pieds calés sur les pédales, les cheveux battant l’air, Vittoria souriait comme une enfant sur une balançoire. Malgré ses vingt-huit ans, elle possédait encore cet air mutin et son rire était celui d’une petite fille. À la sortie du pont, elle bifurqua à toute vitesse sur la droite. Dans le virage, elle croisa un couple qui semblait épuisé de marcher. L’homme était écarlate et il s’aidait d’une canne pour avancer. Ici, beaucoup moins de monde ne se protégeait le visage avec une étoffe.
Quelques minutes plus tard, la doctoresse constata qu’elle n’était plus très loin de sa destination. Si les rues paraissaient moins sales qu’au cœur de Sadriz, on était encore bien loin des beaux quartiers. La faute revenait principalement à la présence de nombreux ateliers de constructions et de sidérurgie. Des ouvriers couverts de suie traversaient la voie en portant de gros sacs ou des poutres métalliques. On pouvait parfois apercevoir des rats se faufiler entre leurs jambes avant d’aller se cacher derrière un tas de gravier noir. Des femmes habillées très modestement se baladaient, tenant par la main leurs enfants agités. Des garnements couraient sur les trottoirs usés en évitant les braseros posés çà et là. Vittoria ralentit pour continuer au pas. À son passage, trois ouvriers qui buvaient sur un banc en fer oxydé se découvrirent.
Au bout de la rue, une moitié de coque de bateau était posée dans un coin. Deux solides gaillards s’affairaient à clouer des pièces de bois avec d’énormes marteaux. Vittoria tourna sur sa gauche et, au bout de quelques mètres, se trouva devant le hangar n°3. La doctoresse mit pied à terre et fit avancer son vélocipède dans le bâtiment qui avait une de ses portes grandes ouvertes. L’endroit semblait désert. Elle posa son élégant véhicule contre un mur, derrière un vieux four à vapeur à moitié démonté, puis ôta ses bésicles et les essuya à l’aide d’un mouchoir couleur prune. Un moustique imprudent s’était écrasé sur le verre droit. Elle rangea ses optiques dans son étui qu’elle replaça dans sa poche avant de s’approcher d’une porte en fer d’un bleu passé sur laquelle était accroché un vieil avis de recherche déchiré. La partie visible de l’affiche présentait un homme dont le visage était couvert de cicatrices et une somme rondelette était offerte pour sa capture. Vi tapa trois fois contre la surface polie de la porte, comme le petit Fulbert le lui avait indiqué.
Un peu moins d’une minute plus tard, la porte s’ouvrit lentement dans un grincement strident. Une femme d’une bonne quarantaine d’années aux cheveux grisonnants apparut dans le hangar. Avant de dire quoi que ce soit à sa visiteuse, elle scruta la pièce vide d’un œil soupçonneux.
– Vous êtes venue seule, pas vrai ? demanda-t-elle à Vittoria.
– Bien sûr ! répondit la jeune femme avec un sourire enfantin.
– Bien. Entrez, il est au sous-sol.
– J’ai hâte de le voir, dit Vittoria d’un air enthousiaste.
La femme grommela quelque chose en se retournant puis elle ouvrit la marche en descendant un escalier exigu. Vi ne voyait rien à part la silhouette corpulente de sa guide qui se balançait régulièrement en s’enfonçant dans l’obscurité. Les marches menèrent enfin à une pièce chichement éclairée par des lampes à acétylène. Un homme avec un béret était assis sur une chaise en osier. Comme sa femme, il avait de l’embonpoint et les épaules voutées. Des poils de barbe noirs et gris parsemaient sa peau grêlée. Il buvait avidement au goulot d’une bouteille sans étiquette.
L’homme semblait très perturbé et ne cessait de jeter des coups d’œil vers le centre de la pièce. Ce qu’il ne pouvait manifestement pas s’empêcher de regarder était un corps inanimé qui avait été positionné sur le dos sur une table en laiton. Ce corps était celui d’un homme d’environ cinquante ans vêtu d’un veston ouvert qui, sans être une pièce de premier choix, était de bonne facture. Une tâche brune maculait sa chemise au niveau du sternum.
[...]