Premier Chapitre
Le premier chapitre est trop long, alors voici le prologue à la place.« À l'origine, mon nom n'était pas synonyme de beauté. Durant mon enfance, je n'étais que le dernier d'une fratrie de cinq, j'avais trois frères plus grands que moi, ainsi qu'une sœur jumelle, morte à la naissance. Moi, le survivant de ce malheureux enfantement, j'étais le miraculé, celui que les anges avaient béni, mais qui se tiendrait toujours dans l'ombre de ses aînés, plus forts et plus célèbres.
« Au pied du château, les villageois les plus ignorants disaient de moi que j'étais un petit démon, car ils avaient peur de mon nom de famille. On disait que j'étais un Drăculea, le fils du diable, alors que mon père, le prince Dracul, avait choisi pour emblème le dragon sacré, l'ouroboros, celui qui se mord la queue. Cette créature fantastique, venimeuse et incendiaire, alimenta la crainte des gens à mon égard, crainte qui se changerait plus tard en ravissement.
« Je découvris que si les hommes avaient peur de mon père, et de son nom si inquiétant, c'était parce que le guerrier des Carpates était un chevalier légendaire, dont seuls les fils surpasseraient les exploits. Ce ne fut pas mon cas. En dépit du sang qui parcourait mes veines, en dépit du lait qui me nourrit, je restais le benjamin, le dernier, celui dont la renommée n'égalerait jamais celle de ses pairs.
« Ce qui me distinguait, en revanche, fut ma singulière beauté. Elle était discrète, à l'époque où j'étais un enfançon, mais dès l'âge de douze ans, tous les regards se tournèrent vers moi. Cette délicatesse, je parle de mes pommettes hautes, de mes yeux verts et de ma chevelure bronze, m'attira les compliments les plus extravagants que l'on puisse imaginer, et mon charme éveilla l'intérêt, charnel ou politique, parfois les deux, des puissants de ce monde.
« Mais moi, je n'avais d'yeux que pour un seul.
« Lorsque je fus envoyé à la cour impériale, pour servir d'otage, nul n'aurait pu prévoir ce qu'il allait se passer. À part peut-être le père de Mehmet.
« Six ans plus tard, mon frère aîné repartait au pays après avoir été libéré, mais moi, je demeurai à Andrinople, en compagnie du sultan dont je gagnai l'amitié, avant de ravir le cœur.
« Certains disent que ce fut moi le séducteur dans cette affaire, que Mehmet II se consuma d'amour face au Drăculea que j'étais, le fils du Dragon de Valachie. Le Conquérant lui-même soutenait cette version, mais à dire la vérité, je pense que l'amour nous soumit tous les deux.
« Il était mon Achille, j'étais son Patrocle, et nous partagions tous deux la passion pour les anciens récits, les poèmes et les plaisirs. Mehmet avait de l'ambition, et comme son titre le confirmerait plus tard, sa soif de conquête était sans limite.
« Je fus le premier à tomber sous son emprise. Moi, le bellâtre qui trahit sa famille.
« Totalement envoûté par lui, je priai pour la victoire de son père à la croisade de Varna, le suivis dans le Bosphore à l'assaut de Constantinople, marchai sur ses pas au siège de Belgrade, et pour finir, luttai à ses côtés contre mon frère Vlad, celui qui m'avait abandonné, jadis mon frère le plus proche, puis devenu, au fil du temps, mon pire ennemi. Dans cette guerre pour la Valachie, je me demande souvent à qui je devais allégeance en réalité : au sultan dont j'étais le favori, ou au prince ténébreux qui avait hérité du titre de notre père ?
« Aujourd'hui encore, maintenant que le conflit est terminé et que le trône est mien, je ne connais pas la réponse. Vlad s'était rendu coupable de crimes odieux, mais Mehmet, je le découvris lors de nos dernières années passées ensemble, nourrissait lui aussi de terribles desseins.
« Quelle que fût la vérité, voici mon histoire, l'histoire de Radu le Bel, fils de Dracul et frère de l'Empaleur, celui qui, en des temps immémoriaux, était surnommé par son peuple, Radu cel Frumos. »