Premier Chapitre
Saint-Barth.L’Alpine fonçait à vive allure sur la route étroite qui reliait Lorient à la Pointe Milou sur l’île de Saint-Barth dans les Antilles françaises, faisant totalement abstraction de la vitesse limitée à 50 km/h sur toute l’île et à 30 km/h dans les zones habitées.
Propulsée par un moteur turbocompressé 4 cylindres de 252 chevaux placés à l’arrière du véhicule, le bolide avec sa carrosserie en aluminium et ses dimensions compactes se jouait avec une agilité déconcertante du revêtement ainsi que de nombreux virages et pentes raides. À chaque accélération, le vrombissement du système d’échappement sport résonnait dans la nuit.
En sortie de virage, la berlinette accéléra pied au plancher, à l’assaut de la longue ligne droite, quand le halo des phares éclaira, une fraction de seconde, une silhouette au beau milieu de la route. Propulsée à pleine vitesse, le conducteur tenta au dernier moment d’éviter la silhouette, mais le véhicule la percuta de plein fouet. Avec un bruit sinistre, la silhouette virevolta et alla s’écraser sur le pare-brise, pour finir par littéralement s’envoler par-dessus la voiture. Dans un crissement strident de freins, cette dernière s’arrêta en travers de la route quelques dizaines de mètres plus loin.
Le faisceau de phares longue portée, accompagné par un bruit de moteur se rapprochant, donna vie à une scène surréaliste.
Un corps était allongé inerte face contre terre. La route était quant à elle jonchée de débris provenant du phare avant-droit et du pare-chocs de l’Alpine. Le moteur de cette dernière tournait au ralenti.
Une limousine s’arrêta à la hauteur du corps. Quatre hommes en costumes noirs en descendirent, armes au poing.
Les deux premiers foncèrent au pas de course vers la voiture accidentée, pour s’enquérir de l’état du conducteur. Le troisième s’accroupit à côté du corps et vérifia s’il y avait des signes de vie. Le quatrième composa un numéro sur son smartphone.
Un des deux hommes rebroussa chemin, après s’être brièvement entretenu avec le conducteur.
— Elle va bien, juste très choquée ! cria-t-il. En revanche, la voiture a méchamment morflé au niveau du pare-chocs et du pare-brise. Mais elle peut encore rouler.
— La femme n’a pas survécu au choc, elle est morte sur le coup, annonça le troisième homme de son côté, montrant du doigt le cadavre qui gisait au sol.
Le quatrième homme, qui paraissait être le chef, leur fit signe d’attendre.
— Elle n’a rien, si ce n’est une belle frayeur. En revanche, nous avons un cadavre sur les bras ! expliqua-t-il au téléphone à un mystérieux interlocuteur.
Ce dernier lui demanda un complément d’information.
— Comme d’habitude, elle nous a semé à peine cent mètres après avoir démarré. Impossible de la rattraper avec son bolide. Que faisons-nous à présent ?
L’homme hocha la tête et raccrocha.
— Embarquez le cadavre dans le coffre de la Mercedes ! Et essayez de nettoyer au mieux les lieux ! Dépêchez-vous avant qu’une voiture arrive ! ajouta-t-il, avant de se diriger à nouveau vers l’Alpine.
Arrivé à la voiture, il ouvrit la portière du côté conducteur.
— Madame ? appela-t-il. Pour votre sécurité, nous devons quitter rapidement les lieux. Veuillez, je vous prie, mettre la boîte automatique au point mort et ne pas couper le contact, puis sortir du véhicule. Mon équipe va vous ramener à la villa.
Une femme grande et mince s’extirpa sans prononcer le moindre mot du véhicule en chancelant. Elle fut rattrapée in extremis par l’homme qui était resté près d’elle.
— Elle a une grosse entaille au front, patron ! constata-t-il.
— Accompagne-la jusqu’à la voiture et ensuite fonce à la villa. Tu appelleras en route, afin que son médecin personnel vienne à son chevet dans les plus brefs délais. Je vous rejoins avec l’Alpine le plus rapidement possible.
Il s’assit dans la voiture de sport, très à l’étroit avec sa carrure de rugbyman. Le petit bijou tournait au quart de tour et il déplaça la voiture une centaine de mètres plus loin sur le bas-côté de la route, libérant cette dernière.
La Mercedes le dépassa, filant à toute allure en direction de la villa.
— Putain de soirée, soupira-t-il en allumant une cigarette.
La cliente était un sacré numéro. Une femme magnifique et très fortunée qui ne s’interdisait aucun plaisir et qui représentait un véritable casse-tête en ce qui concernait la protection rapprochée, chaque fois que son majordome faisait appel à ses services.
Quand elle ne les semait pas sur les routes qu’elle connaissait comme sa poche, elle adorait disparaître et réapparaître comme bon lui semblait, déclenchant l’ire de ce dernier vis-à-vis de l’équipe de protection.
Mais ce soir, elle avait vraiment battu tous les records et il se demandait comment elle allait bien pouvoir, cette fois-ci, s’en sortir sans rendre des comptes.
En ce qui le concernait, il était suffisamment bien payé pour fermer les yeux, quoiqu’il arrive. Qui plus est, ses hommes et lui allaient obligatoirement recevoir un très gros bonus en rapport avec l’accident et leur silence.
Et la victime ? lui rappela sa conscience. Eh bien, quoi la victime ? répliqua son inconscience. Qui lui a demandé de se promener au milieu de la route à quatre heures du matin ? Paix à son âme ! conclurent sa conscience et son inconscience.