Premier Chapitre
PréludeCompagnie Esclavagiste Adanac, Terres Mortes, Territoire désolées des Anorii, An 635.
Perdu dans les Terres Mortes, un territoire hostile et désolé d'un ancien empire depuis longtemps disparu, une troupe d'esclavagiste elfique réputée sur tous les continents du monde pour ses exploits militaires et son dévouement sans faille envers ses contrats, siégeait sur une plaine vallonnée et purulente comme une haute pestilence.
Pourtant, ses généraux et officiers avides de richesses et de gloire, étaient confrontés pour la première fois à un manque cuisant de force et de motivation, ils peinaient à comprendre comment une terre jadis luxuriante de vie était désormais une lande noirâtre et molle de consistance. Les paysages se ressemblaient tous les uns les autres, ne se démarquant que par les ruines apparentes de certaines villes et villages parsemant les landes, d'où aucune verdure ni aucuns animaux ne vivaient ni ne survolaient.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? Ces choses grouillent dans sa jambe ! Berk, mais c'est qu'elles se multiplient dans ses chairs ! Regardez-moi ces grappes ! Vous croyez que ça vient de la viande ? Nos réserves sont pourries, c'est ça ? Questionna l'un des officiers sous la tente de commandement, arborant une peau de cendre, une chevelure sombre et des iris rouge-sang sur yeux noirs.
— Non, je ne crois pas... Nous serions tous malades si c'était le cas. Je pense que c'est en lien avec son entaille, je ne sais pas où il l'a eu, mais elle est trop irrégulière pour être l'œuvre d'une lame. Si ça ne tenait qu'à moi, je dirais que c'est une griffure, mais de quoi ? Il n'y a rien à perte de vue, ici.
— Argh ! Mais qu'est-ce que vous faîtes ? Aidez-moi, vous ne voyez pas que je souffre ? Dépêchez, je sens qu'elles me dévorent les entrailles ! J'en peux plus, faîtes quelque chose ! Du vinaigre, du feu, je ne sais pas ! Peu importe, mais tuez-moi ces choses ! Gémi celui qu'ils inspectaient depuis peu, suant à grosses gouttes sur le ventre d'une civière.
Ignorant ses suppliques, ils regardaient tous la ligne béante d'une méchante entaille ; partant du haut de sa hanche gauche, celle-ci descendait jusqu'au milieu de son mollet, offrant à la vue de quiconque, une image extrêmement désagréable. Ses chairs débutaient une nécrose et dévoilaient sur toute la superficie de sa plaie, la protubérance de petites grappes octogonales, rappelant un couvain d'abeille rempli de vie. De là, apparaissaient d’un peu partout, d'étranges larves à tête noire, tombant aussitôt dans une soupe blanche de sécrétion d'où elles s'agitaient frénétiquement et dévoraient sa viande morceau par morceau pour pondre à nouveau.
— Difar, tu n'es au courant de rien ? Tu n'étais pas avec lui, tout à l'heure ? Un monstre capable d'une telle entaille ne passe pas inaperçu, surtout par ici... Posa tranquillement l'un des généraux à son subalterne.
— Non, ça ne risque pas, je n'étais même pas là quand c'est arrivée... À chaque soirée, il s'éclipse de la tente et s'en va un peu plus loin, puis fornique avec des humains. En revanche, j'ignore jusqu'où il est allé cette fois-ci, mais c'était sûrement en dehors du campement.
— Mais merde ! Qu'est-ce vous avez à parler, là ! Agissez-là, soignez-moi, putain ! Se renfrogna à juste titre, l'estropié.
Alors, se détachant du groupe l'un des généraux s'en alla auprès de lui, d'une mine inflexible. Tirant de l'épée fine propre à son pays, il lui perça le crâne sans un haussement d'émoi à travers le drap. Se nettoyant peu après ça, la lame sur les habits du mort, il rengaina sous les regards automatiques de ses camarades.
— Enterrez-le à l'abri des yeux indiscrets et ordonnez qu'on renforce les entrées du camp et qu'on mobilise plus de patrouilles pour la nuit. Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais tout ceci n'est pas de bon augure... Nous avons sûrement fait la rencontre des premiers habitants de ces terres désolées, alors restez tous à l'affut du moindre bruit suspect.
Tous l'auraient sûrement suivi dans ses directives s'ils n'avaient pas aperçu au-devant de lui, la formation d'un incendie et le déclanchement de plusieurs alarmes. Tenant les hauteurs du campement, ils étaient soudainement au centre d'une invasion de grande ambition ; à droite comme à gauche, une multitude d'ombres menaçantes et hurlantes comme des aigles infernales, chargeaient frénétiquement les différentes positions fortifiées de la compagnie, telle un raz-de-marée.
— Partez à vos groupements, entonnez les formations et veillez à défendre le centre ! Laissez l'incendie à sa vie, il ralentira tout autant l'ennemi que nos propres milices ! Rugi encore celui-ci, se positionnant clairement comme la tête pensante de toute l'organisation.
Obéissant sans attendre, tous ses sous-fifres, sous le vent d'un feu toujours plus libre d'entreprise, se mirent en piste et prirent les armes contre ce vil ennemi, entonnant à mesure des déplacements, des ordres simplistes pour des humains serviles d'origines. Le temps passant, ils entendirent d'ici et là, derrière les flammes dévorant le campement, des cris d'abominables engeances se mêlant aux échos de combats et de larmes. Dès lors, ils virent et entendirent des survivants s'en remettre derrière les lignes, témoignant d'abominables créations et après mûre retranscription, l'incendie faiblit anormalement, s'éteignant à mesure que les combats se rapprochèrent du centre. Rapidement une brume fumante s'installa sur le restant du campement, et les soldats qui tenaient toujours fermement les positions, tremblèrent inévitablement face à la résurgence d'énièmes cris transcendant les lois de la nature et de la logique.
Pour les maîtres comme les soldats, il devenait de plus en plus apparent que ces choses, quoi qu'elles pussent être, n'étaient pas de ce monde. Rien, absolument rien n’avait de semblable, et les cris se rapprochant désormais d'infâmes rugissements tonitruants, transpercèrent plus d'un tympan et raisonnèrent dans plus d’une cage thoracique, déstabilisant de-ci et de-là les troupes prêtes à faire face à la menace.
— Tenez les lignes ! Tenez les lignes ! Qu'on allume des torches et des lampes ! À tous les archers, encochez et tenez-vous prêts ! Vous tirerez sur tout ce qui passera cet écran de fumée ! Claironna vaillamment le commandant de ces braves.
Sitôt dit, un survivant de la pénombre sorti de la brume le corps en ruine, et une volée acheva sa vie à la lisière du perceptible. Quelques secondes après ça, tous aperçurent un bras terriblement longiligne s'en prendre au corps sans vie de l'humain assoupie, le transperçant à la jambe et l'agitant dans tous les sens. Dans le carnage, un détail n'échappa à la vision des elfes ici-bas ; s'armant d'une peau entièrement alvéolée, le bras s'apparentait à la forme interne d'une ruche d'abeilles, revêtant une teinte sombrement rougeâtre et affichante à sa surface, des fourmillement insaisissables et ondulatoires, à l'image d'une myriade de petits parasites blancs à têtes noirs.
— Tirez, tirez dans les ténèbres ! Soldats, resserrez les murs de lances et avancez au pas ! Nous allons reprendre cet endroit pas à pas !
Malléable par des années de servage, ces esclaves, pourtant frémissant la boule au ventre, obéirent et entamèrent la marche par des coups et des piques dans les entrailles de la nuit. Les créatures répliquèrent tout autant à ces douloureuses agressions et une longue bataille s'engagea entre les deux camps.
Se réveillant bien des heures après, l'un des officiers souffrant de terribles plaies, n'entrevoyait plus que le silence d'une nuit aux étoiles pétillantes de brillance. Oscillant d'un simple mouvement, son visage lui brûla instantanément de déchirement ; une entaille implacable logeait là, le défigurant sans un soupçon de grâce. Alors, redécouvrant peu à peu ses sens, ses chairs le tiraillèrent et lui arrachèrent d'horribles râles de suppliques pour le plus petits des mobiles.
Soudain, un bruit paru à ses oreilles miraculeusement indemnes ; celui des os et des chairs que l'on racle et que l'on casse d'une barbaque. Puis, survenant subitement du dedans de ses entrailles, des fourmillements éparses et exécrables se déversèrent de haut en bas, s'accaparant son corps et le brûlant de démangeaison jusque dans le creux de ses entailles.
— Non, non, non, les larves ! Ce sont les larves ! Quelqu'un, aidez-moi ! Dépêchez-vous, faîtes quelque chose ; du feu, du vinaigre ou même de l'alcool ! Trouvez-moi quelque chose, mais brûlez-moi ces putains de choses avant qu'elles ne me dévorent ! S'écria-t-il de panique, ne réfléchissant qu'à sa propre vie.
Ni une ni deux, un cri retentissant éclata ses tympans et chamboula ses organes de résonnance ; sa conscience vacillante indéniablement, il ne se réveilla que quelques instants plus tard, ressentant sur lui, tout le poids d'une montagne à l'haleine fétide. Après ça, il ressentit sur ses vêtements et ses chairs apparentes, le reniflement haletant d'une gueule gluant de sangs et de vermines, flairant assurément les coins les plus tendres de ses chairs pour s'en faire une bonne ripaille. Seulement, alors qu'il crut à sa fin, une lumière incandescente irradia ses peaux et ses veines, déversant en lui, une fournaise sans pareille ; beaucoup trop affaibli pour en comprendre le sens, il finit par entendre les appels dangereusement inquiétants d'une voix mielleuse de chuchotement, l'incitant tendrement à prendre connaissance de sa renaissance.