Premier Chapitre
Depuis plusieurs jours, un vent puissant soufflait sur la côte bretonne. La mer était très agitée et des vagues gigantesques venaient s’écraser sur les énormes rochers au pied de la falaise, en contrebas du village d’Istria. L’horizon était désert et aucun bateau n’apparaissait sur cette immense étendue bleue. Les quelques rayons du soleil qui arrivaient à se frayer un chemin à travers les gros nuages gris, illuminaient partiellement l’océan, ce qui rendait le spectacle d’une beauté sans égale. Cependant, tous les Istriens commençaient sérieusement à s’inquiéter pour la fête du village qui devait avoir lieu le lendemain soir.Á cette époque, de nombreuses légendes persistaient. L’existence de créatures telles que les dragons était évoquée, et un nombre de plus en plus important de témoignages semblait la prouver ; Ils étaient craints par beaucoup et considérés comme des monstres venus tout droit de l’enfer.
La superstition occupait, elle aussi, une place importante dans l’esprit du genre humain, c’est pourquoi, un temps aussi chaotique lors de la fête annuelle aurait été perçu comme un mauvais présage par l’ensemble des habitants. Comme tous les ans, l’événement se déroulerait à la Taverne de Nicole, une simple pergola suffisamment grande pour abriter un bar et de nombreuses tables et chaises qui, une fois resserrées, laisseraient place à une vaste piste de danse.
- Quand cette tempête va-t-elle s’arrêter ? soupira Yria en regardant par la fenêtre de sa chambre.
- Le plus vite serait le mieux, nous avons encore tellement de choses à faire, répondit Nicole.
Le vent rendait les préparatifs difficiles, rien ne tenait en place et installer la décoration devenait un véritable combat contre l’invisible. Elles ne parvenaient même pas à s’éclairer correctement, car le vent s’engouffrait sous la pergola et éteignait les flammes des lampes à pétrole disposées sur les tables.
Les deux jeunes filles se connaissaient depuis leur plus tendre enfance et se faisaient une confiance aveugle. Elles étaient tout excitées à l’idée de danser et de s’amuser le soir suivant, mais cela semblait compromis.
- Si le vent continue de souffler comme cela, la fête devra être annulée, dit Nicole.
- Non, s’exclama Yria, nous attendons cette soirée toute l’année, c’est l’occasion pour nous de nous amuser et de profiter des derniers jours de l’été ! Peut-être que si nous sommes chanceuses, cela se calmera d’ici demain soir ! Je préfère envisager les choses comme cela.
- Bien, alors si tu préfères envisager les choses comme cela, répéta Nicole d’un ton moqueur, il faudrait peut-être envisager également d’aller affronter ce temps pour régler les derniers détails en ville et vérifier que tout est prêt à la taverne.
- Bonne idée ! Allons-y !
Elles sortirent de la maison pour se rendre au village.
Istria était constitué de nombreuses petites maisonnettes dont la plupart étaient recouvertes par un toit de chaume. Il y avait environ quatre cents habitants et tout le monde se connaissait. Les deux amies se tenaient par le bras afin de résister et lutter plus facilement contre la force du vent. En marchant dans les rues, elles aperçurent Amanda, une adolescente d’une quinzaine d’années, assise en tailleur près d’un feu, à l’abri de la tempête. Une dizaine d’enfants bien plus jeunes, installés tout autour d’elle, étaient attentifs à ses moindres paroles et la dévisageaient, envoûtés par l’histoire qu’elle leur racontait. Comme le voulait la tradition, chaque année, un adolescent devait expliquer aux plus jeunes les raisons de la célébration annuelle. Les deux amies s’arrêtèrent un instant pour l’écouter :
- Il y a bien longtemps, sur la terre où nous vivons tous aujourd’hui, régnait une réelle tension entre les Istriens et les Herkels, un peuple hargneux et sans pitié d’une région voisine dont l’unique but était de conquérir Istria, terre propice à l’agriculture. Ces hommes étaient des barbares… et le sont encore. Ils étaient prêts à tout pour faire de la magnifique terre de nos ancêtres, des champs de betteraves. Un jour, alors que le village entier était en deuil, les Herkels ont profité de cet instant de faiblesse pour nous attaquer. Les villageois n’ayant pas le temps de réagir et étant en nombre inférieur, Istria s’est rapidement retrouvé gouverné par ces monstres. Le peuple tout entier s’est alors exilé. Mais ils ont très vite réalisé que leur terre était leur bien le plus précieux et que sans elle, les Istriens ne seraient plus dignes de ce qu’ils étaient. Ils se sont donc ressaisis, ont repris confiance et sont revenus sur leur pas plus déterminés que jamais à la reconquérir. L’effet de surprise fut tel, que les Herkels n’ont pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. Ce jour-là, les Istriens ont remporté une grande bataille qui à jamais a changé la vie de chacun d’entre nous. Nos pères, nos grands-pères et nos arrière-grands-pères ont participé à cette bataille et c’est à eux que nous rendons hommage chaque année lors de la fête annuelle ; pour les remercier de la paix et de la liberté qu’ils nous ont offertes et pour ne jamais oublier la valeur de ce qui nous appartient.
Tous les enfants étaient impressionnés par ce qu’ils venaient d’entendre. Auparavant, ils ignoraient tout de cette histoire et c’est justement pour cela que la tradition voulait qu’on la leur enseigne.
Nicole et Yria avaient toutes les deux écouté avec beaucoup d’attention la narration d’Amanda. Elles connaissaient cette histoire mais elles ne se lassaient pas de l’entendre, tant elles en étaient fières. Amanda tourna la tête et aperçut les deux jeunes femmes un peu plus loin. Elles échangèrent un sourire puis l’adolescente reporta son attention sur les bambins quand l’un d’entre eux lui demanda :
- Que sont devenus les Herkels ?
- Après leur échec, les Herkels se sont retirés dans la forêt d’Anorah, de l’autre côté de la rivière où ils vivent à présent. Mais la haine qu’ils vouent à notre peuple est grande et, aujourd’hui encore, il n’est pas rare que certains d’entre eux soient surpris à rôder dans les parages. Mais nous ne sommes pas dupes et restons très méfiants à leur égard, car une éventuelle vengeance de leur part est tout à fait envisageable.
Á l’écoute de ces paroles, Nicole et Yria échangèrent un regard inquiet, elles n’avaient jamais songé à la vengeance des Herkels et le simple fait d’y penser les terrifiait.
-Pourquoi les Istriens et les Herkels se détestent-ils autant ? demanda l’un des enfants.
- On ignore encore l’origine de ce conflit et la raison pour laquelle nos deux peuples se vouent une telle haine. Certains murmurent qu’il y a longtemps, un Istrien et un Herkel se sont disputés l’amour d’une femme. La jalousie et la colère les auraient rendus fous…
Amanda poursuivit son récit, les deux amies, elles, reprirent leur chemin et descendirent jusqu’au bas de la rue où elles entrèrent chez l’épicier pour acheter les boissons nécessaires au bar pour la fête.
Dans l’après-midi, le vent se calma et il était à présent plus facile de se déplacer sans risquer de s’envoler.
- Tu vois Nicole, la taquina Yria, la chance est avec nous, le vent n’est plus qu’une simple brise à présent, demain sera un grand jour ! dit-elle en riant.
- C’est vrai, tu avais raison, acquiesça son amie, espérons maintenant que cette accalmie se maintienne.
- C’est incroyable ce que tu peux être pessimiste parfois, lui répondit Yria en souriant, ravie.
Elles se dirigeaient maintenant en direction de la taverne en traînant tant bien que mal un chariot que leur avait prêté l’épicier pour transporter les caisses de bière. Il était très lourd et elles auraient volontiers demandé à un homme de les aider mais comme chaque année la veille de la fête, ces derniers se réunissaient de bonne heure le matin pour aller chasser le gibier qui serait servi pour l’événement. Ainsi dans les rues d’Istria, croiser un homme était rare en ce jour, à quelques exceptions près…
Elles déchargèrent le chariot derrière le comptoir que Nicole ferma à clef, à l’aide d’un cadenas. Puis elles retournèrent chez l’épicier pour rendre le caisson.
Sur le chemin du retour, les deux amies plaisantaient et se rappelaient des souvenirs quand elles entendirent deux grosses voix crier. Elles se retournèrent aussitôt et virent Gustave et Gidéon, les deux frères jumeaux du village, en train de se disputer. De toute évidence, ils avaient une fois de plus abusé de l’alcool qui provoquait chez eux des conflits réguliers, mais plus personne ne s’étonnait de leurs querelles tant elles étaient devenues une habitude.
- Crois-tu que j’ai pris suffisamment de bière pour demain ? murmura Nicole à l’oreille de son amie, en regardant fixement les deux garçons se battre.
Yria la regarda avec un léger sourire aux lèvres. Ne quittant pas des yeux la scène, Nicole ajouta :
- Non, je demande ça parce que je les avais oubliés ces deux là ! J’aurais peut-être dû prévoir un stock plus important.
Elle était très sérieuse, ce qui amusa Yria.
Lorsque les deux frères se querellaient, une foule se dessinait pour observer le spectacle avec amusement. Parmi elle, Yria aperçut un jeune homme. Elle l’avait déjà vu auparavant. Il vivait seul dans une maison en lisière du bois, isolé du reste du village et, régulièrement, elle l’apercevait partir seul en forêt, son arc sur le dos. Contrairement aux autres qui souriaient en observant la scène, lui restait sérieux et silencieux. Yria l’observa un moment. Il portait une tunique vert foncé, brodée au niveau de l’encolure, qui laissait apparaître un bijou autour de son cou. Ses yeux étaient d’un bleu profond, rappelant les couleurs de l’océan lorsqu’il est frappé par les rayons du soleil. Le garçon leva soudain son regard des deux hommes et observa la jeune femme qui le fixait toujours. Ils se regardèrent tous les deux un moment. Puis Nicole, qui n’avait pas remarqué l’attention que se portaient les deux jeunes gens, prit sa meilleure amie par le bras pour l’entraîner à sa suite et poursuivre leur balade. Le garçon, lui, se retourna et partit en direction du bois pour rentrer chez lui.
*
Plus tard dans la soirée, Yria arpentait seule les rues d’Istria pour rapporter à sa grand-mère, Stesa, les provisions que cette dernière lui avait demandées. Elle était songeuse et la simple idée de se rendre à la boucherie l’agaçait, car elle savait pertinemment qu’elle devrait affronter les bavardages incessants de Lucienne, la bouchère, une femme forte d’une cinquantaine d’années très gentille, mais que la solitude forçait parfois à se confier à ses clients les plus fidèles. La jeune fille poussa un profond soupir, comme pour se donner du courage avant de pousser la porte du magasin :
- Bonjour, dit-elle poliment.
- Oh Yria, bonjour ma jolie, comment vas-tu aujourd’hui ? lui répondit gaiement la bouchère.
- Très bien, je vous remercie. Je suis venue chercher trois côtes de porc s’il vous plait.
- Bien sûr.
La femme choisit les trois plus beaux morceaux de viande qui étaient proposés sur le comptoir et prit un bout de tissu pour les emballer, en expliquant à Yria tout le travail de découpe qu’elle devrait effectuer pour le lendemain.
- J’en conclus que la chasse a été bonne aujourd’hui pour les hommes du village.
- Oui, nous aurons suffisamment de viande pour nos quatre cents estomacs, dit Lucienne en souriant avant de tendre à Yria sa commande.
La jeune femme lui donna quelques pièces de monnaie en échange.
- Tu dois être impatiente pour demain soir, je sais que tu attends cette fête toute l’année !
- Oui, c’est vrai, lui répondit Yria, en souriant. Au même moment, la porte du magasin s’ouvrit et le jeune homme solitaire qu’Yria avait déjà remarqué plus tôt, fit son apparition. Leurs regards se croisèrent furtivement, ce qui ne perturba en rien le discours de Lucienne mais déstabilisa la jeune femme.
- Et tu y vas probablement avec quelqu’un, n’est-ce pas ? ajouta curieusement la commerçante.
Yria hésita avant de répondre :
- Et bien, comme tous les ans, avec Nicole, ma meilleure amie. Nous…
Lucienne lui coupa la parole.
- Non, je veux dire… avec un cavalier !
Cette question mit Yria mal à l’aise. Elle sentit le rouge lui monter aux joues et resta muette un moment ne sachant pas quoi répondre.
- Et bien, non, il n’y aura que Nicole et moi.
Puis, elle se défendit en ajoutant :
- Et puis se faire accompagner d’un homme n’est pas indispensable le soir de la fête annuelle… n’est-ce pas ?
Sa répartie fit sourire le jeune homme qui attendait patiemment que la bouchère remarque sa présence.
Dans cette situation, la seule échappatoire qui semblait possible à Yria était la fuite. Aussi remercia-t-elle rapidement Lucienne avant d’inventer une excuse pour filer :
- Il se fait tard, je dois vraiment y aller maintenant. Stesa va m’attendre. Je vous verrais probablement demain soir à la fête, Lucienne.
Á peine Yria eut terminé sa phrase, qu’elle était déjà sortie du magasin. Le jeune homme la regarda partir, amusé. Il connaissait, lui aussi, la bouchère et savait à quel point il pouvait parfois être difficile de rompre une conversation avec elle. Ainsi, il comprenait très bien l’attitude de la jeune femme.
Il faisait nuit à présent et, sur le chemin du retour, Yria repensait à ce qui venait de se passer. Elle se demandait pourquoi elle s’était sentie si mal quand Lucienne avait abordé le sujet d’un cavalier pour la fête. Il était vrai qu’elle était maintenant en âge de penser aux hommes ; et son père lui avait brièvement parlé de quelques prétendants à plusieurs reprises sans jamais s’éterniser sur le sujet. Mais pour elle, le plus important pour le moment était de profiter de la vie. Elle n’était pas prête pour le mariage.
Le vent était frais pour la saison et elle fut sortie de sa réflexion par une légère brise qui la fit frissonner. Sa robe bleu foncé flottait et ondulait au rythme des légers courants d’air et ses longs cheveux noirs et bouclés lui retombaient sur le visage, le cachant partiellement. Ses grands yeux verts exprimaient toujours la bonté et la gentillesse, et son doux caractère était très apprécié par l’ensemble des villageois. Cependant, sa bonne humeur et son perpétuel sourire cachaient une profonde tristesse dont peu de gens avaient conscience, hormis peut-être Nicole et Stesa. Sa mère, Hélianne était morte d’une grave maladie alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente. Elle avait très peu de souvenirs avec elle ; et toutes les choses qu’une mère devait apprendre à sa fille lui avait été enseignées par Stesa, sa grand-mère. Durant toutes ces années, elle avait souffert de cette absence sans jamais rien montrer, pour ne pas attirer l’attention ni la pitié.
- Stesa ? cria-t-elle en entrant dans la maison et en refermant la porte derrière elle. Comme elle n’obtient pas de réponse, elle ajouta :
- Il y a quelqu’un ici ?
- Oui, là, dans la cuisine, répondit une petite voix tremblante.
Elle se dirigea vers la pièce en question où elle retrouva sa grand-mère devant les fourneaux.
- Tu rentres tard, je t’attendais pour passer à table !
- Désolée, lui répondit la jeune femme, lasse, en s’asseyant sur la desserte, je suis allée à la boucherie comme tu me l’as demandé et … tu devines la suite... »
Elle lui tendit les provisions dans lesquelles était enveloppée la viande et Stesa mit le repas à cuire tout en souriant à sa petite fille.
Cette dernière regarda autour d’elle et demanda d’un air déçu :
- Papa n’est pas rentré de la chasse ?
La vieille femme regarda tristement sa petite fille :
- Tu connais ton père Yria, nous savons quand il part, mais ne savons jamais quand il revient.
- J’aurais tellement aimé qu’il soit là pour la fête de demain !
- Oui, je le sais. Je vois à quel point tu es déçue mais, s’il te plait, essayes de profiter au mieux de la soirée demain, lui dit Stesa en passant sa main ridée sur le jeune visage de sa petite fille. Cette dernière lui sourit.
Richard, le père d’Yria, ne s’était jamais remis de la mort de sa femme. Il l’avait vue se faire tuer par un dragon ; et par conséquent, faisait partie de ceux qui ne doutaient plus de leur existence. Depuis ce jour, il n’aspirait qu’à sa vengeance. Il partait parfois plusieurs semaines seul à la recherche de ce monstre sans jamais donner signe de vie. Yria ignorait tout des réelles circonstances de la mort de sa mère et des véritables cibles de son père à la chasse. Seul Victor, le neveu de Richard, et cousin d’Yria, présent lors du drame, connaissait ce secret. Quant à Stesa, elle n’était pas dupe. Elle avait deviné ce que cachait son fils et n’appréciait guère ses agissements.
- Si nous passions à table maintenant ? Je meurs de faim ! s’impatienta la jeune femme.
Toutes deux dînèrent, après quoi Yria monta dans sa chambre et jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre avant de se coucher. L’accalmie semblait durer et la pleine lune éclairait l’océan, ce qui lui donnait une magnifique couleur argentée. Elle se glissa dans ses draps et s’endormit.
**
Le lendemain, Yria se leva de bonne heure pour rejoindre Nicole à la taverne et l’aider dans les derniers préparatifs. Elles passèrent une bonne partie de la matinée à mettre en place la décoration, nettoyer les lieux et mettre en place le couvert pour que tout soit parfait. De nombreux villageois étaient venus apporter leur aide et beaucoup avaient participé aux préparatifs en cuisinant de belles tartes et en préparant de magnifiques salades composées.
L’après-midi était dédié pour tout le monde au choix de la tenue et au maquillage. Les deux amies passèrent donc leurs plus belles robes et échangèrent leurs opinions pour faciliter leur choix final.
Yria choisit une magnifique toilette vert foncé, rappelant la couleur de ses yeux et laissant apparaître ses épaules dénudées. Le corsage en dentelle était resserré par un ruban noir et s’étendait du décolleté jusqu’au bas du ventre, se terminant en pointe. Trois petites cordelières rouges lui passaient sur les hanches et se rejoignaient à l’avant, à l’aide d’une boucle, ce qui affinait davantage sa silhouette déjà élancée. Nicole, elle, adopta la même que chaque année ; par conséquent, la fameuse robe rose clair, brodée, que sa cousine lui avait offerte.
À la tombée de la nuit, la fête battait son plein. Les deux amies avaient pris place sur la piste de danse, éclairée par des flambeaux fixés à chaque pied de la pergola, et essayaient de suivre le rythme de la cornemuse et des chants bretons. Les deux jeunes femmes s’amusaient comme des folles et riaient à en pleurer. Les plus âgés étaient restés assis et se racontaient les dernières anecdotes du moment. Gustave et Gidéon, eux, étaient installés, comme à leur habitude, près du comptoir où l’on commençait déjà à ressentir les premières tensions entre les deux frères. Quant à Lucienne, elle avait entamé une grande conversation avec une des femmes de chasseur du village qui avait fait l’erreur de simplement la saluer, la bouchère se chargeant du reste. Stesa regardait sa petite fille s’amuser tout en discutant avec sa fille, Anna, la tante d’Yria.
Tout le monde avait le sourire aux lèvres et profitait pleinement de sa soirée quand on entendit tout à coup les hurlements d’une femme au loin. Toutes les activités cessèrent net. Les musiciens arrêtèrent de jouer, Yria et Nicole de danser et tous les autres stoppèrent le moindre petit bavardage, y compris Lucienne, horrifiée par les cris qu’elle venait d’entendre. Il fallut entendre un deuxième hurlement pour que les Istriens comprennent qu’il s’agissait de quelque chose de vraiment grave. En toute hâte, ils se dirigèrent tous en direction des cris, vers l’entrée du bois.
Quand ils arrivèrent sur les lieux, ils trouvèrent Isabelle, la femme de l’épicier, les deux mains devant le visage, paniquée. Son mari, la prit aussitôt dans ses bras pour la réconforter. Á ses pieds, gisait le corps d’un homme, à plat ventre, à peine reconnaissable. Il était mutilé et recouvert de griffures....